Les femmes enceintes doivent sortir des centres fermés
Janvier 2013
En Belgique, on arrête et enferme des gens, hommes, femmes et enfants, parce qu’ils ne sont pas en ordre administrativement. Bien qu’elles n’aient commis aucun délit, ces personnes sont retenues, en vue de leur expulsion, dans des lieux soumis à un régime carcéral, qui peut avoir des incidences sévères sur leur santé. L’incertitude quant aux procédures et au délai de détention, l’incompréhension et le sentiment d’injustice se conjuguent avec les conditions d’enfermement et entrainent des états de stress, d’angoisse ou même des comportements suicidaires. Des troubles physiques apparaissent aussi régulièrement.
Cette réalité n’a pourtant jamais été prise en considération par la Belgique. L ’Etat belge persiste à enfermer tout le monde, indistinctement, comme il le faisait avec les enfants jusqu’aux récentes condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme qui l’ont contraint à limiter le recours à l’enferment des enfants. (Arrêt Mubanzila ct. Belgique, 12 octobre 2006)
Les femmes enceintes sont soumises au même traitement que quiconque en centre fermé. Avec des conséquences parfois désastreuses. Le 14 décembre 2012, une mère a perdu son bébé au centre fermé 127bis de Steenokkerzeel. En déplacement au tribunal qui devait statuer sur sa demande de libération, la jeune femme est restée en cellule pendant dix heures sans nourriture et sans eau. Renvoyée ensuite au centre, la maman se sentait fortement affaiblie par cette situation et le quotidien dans lequel elle était à nouveau plongée. Rapidement, elle a commencé à sentir des douleurs anormales qui annonçaient la perte du fœtus. Alors qu’elle perdait du sang, les gardiens sont restés sans rien faire, refusant d’appeler une ambulance. C’est son avocat qui a dû intervenir. Que serait-il arrivé à Jasmine sans la vigilance de son avocat ?
Ce triste épisode n’est malheureusement pas un cas isolé. Combien de femme devront encore souffrir, combien d’enfants à venir devront encore disparaître avant que nous ne réagissions !?
Nous - organisations et personnes signataires, exhortons nos élus politiques, Gouvernement, Chambre et Sénat à s’engager pour la suspension immédiate et permanente des détentions administratives des femmes enceintes pour les motifs suivants :
1 – Raisons médicales : les conséquences psychologiques et physiques dues à l’enfermement sont multiples. Le Docteur Christine Dormal témoigne après avoir étudié la situation dans les centres fermés de Bruges et 127bis entre 2008 et 2009 :
« Le détenu nourrit des doutes, des interrogations et de l’incompréhension au niveau des raisons, de la durée et de la finalité de la détention. La vie y est pire qu’en prison, il n’a pas commis de crime. Le détenu est appelé et désigné par un matricule…Il n’a plus de nom, de prénom, d’origine, il est dépersonnalisé. Le mode de vie est inhumain, non respectueux de l’intimité de l’individu et non conforme à une vie dans la dignité. Il y a des organisations d’activités infantilisantes : jeux, collage de cartes, etc. Il y a surpopulation. Le détenu comprend vite qu’il ne peut ni se fier ni se confier, et sombre dans le découragement et le sentiment de solitude totale. Il est coupé du monde réel et ceci à durée indéterminée. Le détenu perd le contact avec la réalité et avec la vie à l’extérieur. Il présente des troubles spatio-temporels. Le détenu qui a perdu son identité et son intimité sombre petit à petit dans la dépression nerveuse, qui peut mener au suicide. Cette dépression se présente sous la forme de désespoir, crise de larmes, décompensation psychologique, crises d’angoisses, insomnies, tentative de suicide, geste de désespoir (verre cassé avalé, tentative de suicide…) Pendant sa détention, le détenu peut développer des troubles définitifs, cardiovasculaires, psychomoteurs, des névroses d’angoisse, des épisodes de paranoïa, des dépendances médicamenteuses d’iatrogéene et une dégradation psycho-physique sévère. »
Les détenus sont par ailleurs soumis à un régime de groupe forcé et non à un régime cellulaire comme en prison. Les moments d’intimité sont pratiquement inexistants. Les troubles médicaux dont souffrent les détenus se renforcent donc mutuellement et aggravent l’état de chacun, en particulier celui des individus les plus fragiles, tels que les femmes enceintes.
Pour celles-ci, nul n’ignore les conséquences que peuvent avoir les symptômes énoncés ci-dessus sur leur grossesse. Une étude publiée dans le PNAS (Proceedings of the Natinoal Academy of sciences) a démontré que le risque de fausses couches en cas de stress élevé était multiplié par trois et pouvait atteindre les 90%. Un haut niveau d’anxiété est également cause de naissance prématurée et peut avoir de profondes répercussions sur le développement futur de l’enfant, en provocant par exemple des troubles d’hyperkinésie et de l’attention. L’intérêt de l’enfant à naître comme l’état de santé de sa mère devraient dès lors être pris en compte pour exclure toute décision d’enfermement.
2 – Raisons Juridiques : les Conventions sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes du 1er mars 1980 et relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990 reconnaissent la situation particulière des femmes enceintes et le besoin de leur octroyer des soins appropriés et des droits particuliers.
La Belgique met d’autre part en application actuellement la directive « Retour » (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008). Différentes dispositions de cette directive devraient justifier l’interdiction de la détention des femmes enceintes aux fins d’expulsion :
- L’article 15 et le 16ème considérant prévoient que la rétention ne se justifie que si l’application de mesures moins coercitives ne suffit pas. De plus, le 6ème considérant, consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme établit que les décisions d’internement doivent être prises « au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier. »
Cependant, il n’existe globalement aucune institution alternative à l’enfermement des étrangers et, en marge de la privation de la liberté, il n’est jamais envisagé aucune mesure moins coercitive telle que celles visées à l’article 7 de la directive (ex : assignation à résidence). La détention est systématique alors qu’elle est en principe une solution de dernier recours. Les décisions d’enfermement ne sont, de plus, jamais motivées eu égard à l’état de santé des femmes enceintes.
Dans son rapport sur l’application de la directive « accueil » du 27 janvier 2003 (Com. Eur., document COM – 2007- 745), la Commission européenne déclare avoir de sérieux doutes sur l’existence d’un traitement spécial à l’égard des femmes enceintes et des autres catégories de personnes vulnérables, étant donné que la Belgique ne dispose pas de procédure d’identification de ces groupes.
Ce constat vaut tant pour les décisions d’enfermement que pour les conditions de vie dans les centres. En dehors d’une consultation médicale mensuelle, les femmes enceintes ne bénéficient d’aucun traitement de faveur. Pourtant, l’article 16 de la directive « retour » indique que : « une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables. (…) » . L’article 5, quant à lui, prévoit l’obligation pour les Etats de tenir compte de l’état de santé des étrangers détenus. La situation actuelle des centres fermés ne répond pas à cette exigence.
De façon générale, le Médiateur Fédéral a critiqué l’administration pour le manque d’attention vis-à-vis des besoins des individus vulnérables tels que les personnes âgées, les handicapés ou les femmes enceintes. Il a demandé au gouvernement de modifier le fonctionnement des centres fermés en vue de remédier à cette carence. (Médiateur fédéral, rapport d’investigation 2009/2, p.227)
L’absence de réponse aux besoins spécifiques de certaines catégories de personnes peut transformer une détention régulière en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne a d’ailleurs condamnée plusieurs fois la Belgique pour ce type de violation. (Arrêt Mubanzila ct. Belgique, 12 octobre 2006)
La Cour estime en outre « qu’un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation autorisée et le lieu et le régime de détention (…). La Cour ne perd pas de vue à cet égard que les mesures de détention s’appliquent à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n’ont pas commis d’autres infractions que celles liées au séjour (…) » (Arrêt Mwanje ct. Belgique, 23 décembre 2011).
Enfin, l’article 6 de la Convention relative aux droits de l’enfant proclame que « tout enfant à un droit inhérent à la vie ». Bien que l’enfant n’ait pas de personnalité juridique avant sa naissance, la loi reconnaît dans de nombreux cas le besoin de le tenir pour né lorsqu’il s’agit de ses intérêts. Elle octroie notamment aux enfants en formation des avantages matrimoniaux et successoraux et les préserve contre les atteintes à leur intégrité physique ou à leur développement. Il n’y donc aucune raison valable pour que l’intérêt des enfants futurs ne soit pas également pris en considération, isolément, pour évaluer la légalité de la détention de leur mère.
Pour les raisons médicales et juridiques décrites ci-dessus, la détention en centre fermé des femmes enceintes devrait être considérée comme contraire à l’article 3 de la Convention européenne qui proscrit les traitements cruels, inhumains et dégradants.
Elle est en effet totalement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par les procédures d’expulsion, en ce qu’on ne peut affirmer raisonnablement qu’une exception faite pour quelques poignées de femmes enceintes entraverait leur efficacité.
Si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore sanctionné l’usage des centres fermés pour cette catégorie de personne, c’est uniquement en raison de l’attitude persistante et uniforme des Etats à recourir à ce genre de pratique. Alors que partout en Europe l’usage des centres fermés se banalise et que les conditions de rétention se dégradent de façon désastreuse, alors que notre pays est assailli par les mouvements populistes et xénophobes, il convient d’exiger des autorités belges qu’elles se démarquent de cette tendance et montre l’exemple en épargnant au moins les femmes enceintes du calvaire des centres fermés.